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Rencontre avec Bernard Friot /Construire le salariat comme classe révolutionnaire : Séminaire La Dispute / Fondation Gabriel Péri : Deuxième séance
mardi 18 mars 2014 - 19h00- 21h00
Autour des ouvrages de Bernard Friot, Puissances du salariat. Nouvelle édition augmentée, Ed. La Dispute, Paris, 2012, et L’enjeu du salaire, Ed. La Dispute, Paris, 2012.
La proposition de construire le salariat comme classe révolutionnaire est née de ma pratique de chercheur et de militant.
Comme chercheur labourant depuis 40 ans le terrain de la sécurité sociale, en France surtout mais aussi en comparaison européenne et dans les politiques de l’UE, je me heurte à une interprétation fonctionnelle de ce qui s’est passé en 1945. Selon deux lignes d’interprétation dominantes.
La première, celle du fordisme, théorisée par l’école de la régulation, fait de la sécurité sociale l’instrument de solvabilisation de masse nécessaire à l’écoulement des marchandises d’un capitalisme de production de masse.
La seconde, théorisée par des marxistes, fait de la sécurité sociale la couverture mutualisée de besoins de reproduction de la force de travail nécessaires à la classe capitaliste mais que chaque capitaliste pris dans la concurrence ne peut pas assumer de sa propre initiative.
Ainsi la sécurité sociale serait un élément nécessaire du mode de production capitaliste en général, ou dans sa phase fordiste. Or tout mon travail de terrain proteste contre cette lecture fonctionnaliste d’institutions qui, comme le salaire à vie de la fonction publique ou des retraités ou comme la cotisation salaire, sont subversives tant du marché du travail que de la propriété lucrative, du crédit et de la mesure de la valeur par le temps, ces institutions décisives du capital.
Comme militant syndical et politique, je partage avec sans doute beaucoup d’entre vous un sentiment d’exaspération devant les échecs du mouvement populaire depuis trente ans. J’ai alors cherché à mieux définir le sens anticapitaliste du statut de la fonction publique et des salariés des services publics, de la cotisation de sécurité sociale, de la qualification des postes dans les conventions collectives, pour prendre trois grandes institutions qui ont changé le sens du salaire.
J’ai progressivement acquis la conviction que ces échecs ont à voir avec la lecture fonctionnaliste de 1945. C’est faute de voir les tremplins anticapitalistes qu’offrent les institutions qui se déploient à la Libération, et de s’appuyer sur eux, que les mobilisations populaires sont aujourd’hui impuissantes. Or puisque que ce sont les institutions du salaire qui ont été l’enjeu de la lutte de classes, la classe ouvrière en panne depuis près de quarante ans ne peut se reconstruire comme classe qu’en tant que salariat.
Salariat, c’est-à-dire l’ensemble de celles et ceux qui assument les institutions du salaire pour les généraliser de sorte que s’impose la pratique salariale de la valeur : que la copropriété d’usage de tous les lieux travail remplace la propriété lucrative, le salaire à vie remplace le marché du travail et les employeurs, la cotisation économique et une création monétaire sans crédit remplacent le crédit lucratif, la mesure de la valeur par la qualification des producteurs remplace sa mesure par le temps de travail.
Construire le salariat, c’est bien sûr partir de toutes les luttes et mobilisations actuelles, telles qu’elles sont menées dans leur stratégie mortifère. Les militants sont là, il est hors de question de les disqualifier, eux. Il faut au contraire les armer en convertissant les revendications de plein-emploi en revendications de copropriété d’usage des entreprises, les revendications de revenu d’existence, d’allocation d’autonomie pour la jeunesse, de sécurité emploi-formation en revendications de salaire à vie, les revendications de pôle public de crédit en revendications de cotisation économique et de création monétaire sans crédit, les revendications de taxation du capital en revendications de hausses massives des cotisations compensées par la suppression des dividendes et des frais financiers.
Dans cette intervention, j’insisterai sur le caractère macro-social des institutions à généraliser. Il est clair que les mouvements d’émancipation sont toujours des mouvements d’appropriation ici et maintenant et Lucien Sève a raison de parler à ce propos de l’urgence de communisme comme appropriation directe ici et maintenant. Mais ces mouvements forcément locaux, forcément territoriaux ou de secteur, ne peuvent vaincre que s’ils s’instituent et donc s’appuient sur le déjà-là d’institutions macro sociales conquises par la classe ouvrière et qui n’attendent qu’à être enfin assumées à des fins révolutionnaires.
Bernard Friot, professeur émérite à l’Université Paris Ouest Nanterre, est économiste et sociologue. Ses travaux portent sur la sécurité sociale et plus généralement sur les institutions du salariat nées au 20ème siècle en Europe continentale. Chercheur à l’IDHES, il appartient à l’Institut européen du salariat (ies-salariat.org) et à Réseau salariat (reseau-salariat.info).
Il a récemment publié : à La Dispute L’enjeu des retraites (2010), L’enjeu du salaire (2012), Puissances du salariat (2012) ; chez Peter Lang, avec Bernadette Clasquin, The Wage under Attack : Employment Policies in Europe (2013) ; et à L’Atelier de création libertaire un débat avec Anselm Jappe : Après l’économie de marché : une controverse(2014).
Un livre d’entretiens paraîtra à La Dispute en septembre 2014.
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